Saturday, October 17, 2015

SCORSESE-NYC : Les deux font la paire




"L'AMERIQUE EST NE DANS LA RUE"



MARTIN SCORSESE-NEW YORK CITY
... Il y a évidemment beaucoup d’autres choses à dire sur Martin Scorsese, cinéaste new-yorkais, profondément new-yorkais. Il a bien sûr tourné ailleurs que dans sa ville natale, dans d’autres villes des États-Unis, et ailleurs, mais il y revient sans cesse car la ville nourrit son imaginaire. Les thèmes de l’adolescence sont souvent présents dans son œuvre et renvoient au quartier de son enfance, « Little Italy », là où il a grandi au sein d’une famille aimante et omniprésente. Scorsese s’est tellement « nourri » de ses parents qu’il les a filmés, conviés dans certains de ses films comme des figures incarnant d’une certaine manière l’intégration culturelle (réussie) des émigrés italiens arrivés par bateau au début du XXe siècle. Cette relation d’amour est importante car elle fonde l’imaginaire familial du cinéaste dans sa double appartenance : italienne – et plus particulièrement sicilienne – et américaine. Chez Scorsese, l’univers de la rue, la vie des gangs, la violence urbaine, la tradition familiale italo-américaine, y compris sous son aspect « clanique », avec sa geste et son langage, se mêlent à l’apprentissage universitaire, à l’éducation via des études cinématographiques qui lui ont fait découvrir l’histoire du cinéma... (Georges Tubiana, extrait de l'introduction à l'exposition "Martin Scorsese " Cinémathèque Française, Paris, 14 octobre-14 février 2016)
LES DEUX FONT LA PAIRE
FILMOGRAPHIE


ITALIANAMERICAN (1974)
"Le "contrechamp documentaire de "Mean Streets", comme on dit. Longtemps considéré comme le grand docu de Scorsese, avant que sa production dans le genre ne devienne pléthorique. La maman de Marty raconte des histoires du pays natal tout en préparant la sauce pour les pastas, pendant que Papa maugrée sur le canapé du living room. Elle est déchaînée – c’est son Raging Bull à elle. Au-delà de la tranche de vie "italienne-américaine", précieuse et folklo, ce qui frappe aujourd’hui, c’est la prescience d’un cinéaste qui, à même pas 35 ans (il n’a pas encore tourné Taxi Driver) est déjà en train de consigner en direct sa propre légende. Ce type avait tout prévu dès le début. Fort. Très fort. 

WHO'S KNOCKING AT MY DOOR (1964)
Les Vitelloni rencontre Godard dans Little Italy. Si vous pensez que ce film n’est réservé qu’aux archéologues de la geste scorsésienne, faites gaffe : Who’s that knocking at my door continue, encore aujourd’hui, d’envoyer des décharges électriques, méchantes et teigneuses. Malgré les scories, malgré les erreurs de jeunesse, malgré l’absence de blé, et même malgré la scène "porno" grotesque imposée par le producteur. Scorsese sait ce qu’il fait, ça se voit. Dès les premières secondes, on est chez lui, nulle part ailleurs. Quant à la longue scène de drague où Harvey Keitel cause de John Wayne et de La Prisonnière du désert, elle annonce toute l’œuvre 90’s de Tarantino.


MEAN STREETS (1973)
De Niro entre dans un bar au son de 'Jumpin’ Jack Flash' et le cinéma américain en est changé à jamais. C’est le troisième long de Marty, après Who’s that knocking at my door et Bertha Boxcar, mais son "vrai" premier film, celui où il marque définitivement son territoire : Little Italy, les Stones, l’Eglise, les frères ennemis, les crises d’épilepsie, le sang qui éclabousse les murs et la rétine. Un uppercut, gigantesque. Depuis 1973, tous les premiers films de la planète rêvent de ressembler à celui-là. 


TAXI DRIVER (1976)
Le saxo de Bernard Herrmann, New York vue comme une Sodome moderne, la coupe iroquoise, "les putes, les pédés, les travelos, les camés"… Un classique, un vrai. "For the ages", comme ils disent.


NEW YORK NEW YORK (1977)
Ça aurait pu être son Coup de Cœur. Son Sorcerer. Sa Porte du Paradis. Le trip mégalo de trop. Scorsese passe à deux doigts du désastre et signe un musical éclaté, bancal, ne renfermant que des beautés éparses. Contient néanmoins quelques-unes de ses meilleures scènes de ménage (sa grande spécialité), une séquence d’ouverture faramineuse (Liza Minnelli harcelée par De Niro en chemise hawaïenne) et un futur standard, bientôt "coverisé" par Sinatra, et qui flotte depuis dans la stratosphère, tout là-haut. Start spreading the news… 


AMERICAN BOY (1978)
Ex-tour manager de Neil Diamond au look de vampire héroïnomane, junkie affable, Steven Prince s’assoit dans un canapé aussi défoncé que lui et raconte des anecdotes manifestement déjà rôdées ailleurs (dont l’une inspirera à Tarantino la scène du shoot d’adrénaline de Pulp Fiction). Si on considère que Italianamerican, c’est Mean Streets "in real life", alors voici le pendant documentaire deTaxi Driver – flippé, malsain, blafard, destroy. 

RAGING BULL (1980)
La vie du boxeur Jake La Motta vue comme une parabole biblique, doublée d’un autoportrait de l’artiste en taureau rageur. Immense film, bien sûr. Un poil trop self-conscious, peut-être. Pompé partout depuis. Mériterait clairement d’être dans le Top 5. Mais il y a comme un embouteillage de chefs-d’œuvre, là…


AFTER HOURS (1986)
New York comme une prison, la nuit comme une illusion. A l’origine, un petit film de rien du tout, tourné pour garder la forme en attendant la mise en chantier de La Dernière Tentation du Christ. A l’arrivée, un petit film, peut-être, mais parfait dans le genre "yuppie 80’s", parfait dans le genre "parano urbaine", parfait dans le genre "course contre la montre", parfait dans le genre "du samedi soir". Quelque chose comme un film parfait. Pas petit du tout, en fait ! 


NY STORIES, LIFE LESSONS (1989)
Au petit jeu du film à sketchs, Scorsese met K.O. Woody Allen et Francis Ford Coppola (autres signataires du collectif New York Stories), mais sans gloire : les copains n’avaient pas mis la barre bien haut. Life Lessons (Nick Nolte joue un artiste-peintre, simili-Jackson Pollock, en panne d’inspiration), se regarde aujourd’hui comme un témoignage précieux sur le New York 80’s, celui du fric et des artistes, de Basquiat et de Gordon Gekko. Et essayez de vous sortirA whiter shade of palede la tête après ça… Anecdotique ? Peut-être, mais quand même l’un des meilleurs formats courts du cinéaste, quelque part entre le sanguinolent The Big Shave et le clip de "Bad".


LES AFFRANCHIS (1990)
Un chef-d’œuvre, un vrai, qui domine à la fois son époque (on ne va pas disserter ici sur l’influence monstre des Affranchis sur le cinéma des 90’s) et parachève la filmo de son auteur, transcendant son style, ses thèmes, ses motifs, sa vision, pour aboutir à un morceau de cinéma total. Comment un truc pareil peut-il se retrouver seulement à la troisième place de notre liste ? Bon. Disons que c’est un troisième numéro 1.


LE TEMPS DE L'INNOCENCE (1993)
Le Scorsese qu’on oublie toujours de citer est pourtant l’un de ses plus beaux. D’un thème qui aurait sûrement intéressé Kazan (une histoire d’amour contrariée par les conventions du temps), Scorsese tire un poème visuel délirant, somptueux, portant sur la haute société new-yorkaise de la fin du XIXème siècle un regard à la fois ironique et fasciné. Le chaînon manquant entre Les Affranchis et Casino


GANGS OF NEW YORK (2002)
Un projet que Scorsese "rêva" pendant plus de 20 ans. Fou, mégalo, démesuré, inabouti, plein de trous, mutilé par Weinstein, parfois laid, objectivement raté, enivré par sa grandeur supposée, Gangs of New York porte les stigmates de son accouchement au forceps (trois ans "in the making") comme une résurgence tardive, trop tardive, des excès démiurgiques du Nouvel Hollywood. Quoi qu’on pense de ce film, difficile de le regarder autrement que comme le brouillon du chef-d’œuvre qu’il aurait pu être.


FRAN LEBOWITZ  PUBLIC SPEAKING
Inconnue sous nos latitudes, Fran Lebowitz est une intellectuelle new-yorkaise qui parle, parle, et parle encore, donne des conférences sur tout et rien, disserte sur le féminisme, l’homosexualité, le racisme, le tabagisme, les libertés publiques en Amérique, converse à la fac avec Toni Morrison, et joue à l’occasion dans Law and Order (si, si). Un mélange intéressant (limite flippant) entre Rupert Pupkin et Travis Bickle. C’est du moins comme ça que Scorsese la filme. Amusant. Mais limite anecdotique quand on considère que les théories supposées "scandaleuses" de Lebowitz ne le sont pas tant que ça, vues de ce côté-ci de l’Atlantique.


LE LOUP DE WALL STREET (2013)
Le film qu’on n’osait plus espérer. A 71 piges, Marty dégaine trois heures de cartoon speedé, vulgaire, coké, sauvage, méchant, plus cul que jamais, une satire cintrée du fric-roi et d’un monde devenu fou. Un film nitroglycérine, une bombe à fragmentation qui explose un peu plus fort à chaque nouvelle vision. Tous les vétérans du Nouvel Hollywood (Coppola, Friedkin, De Palma, Cimino…) sont cramés, lessivés, hors-circuit (à part Spielberg, hors-concours). Et Marty, lui, bande encore. Alléluia !"

Morceaux choisis du reportage signé du critique Frédéric Foubert
 "Les films de M. Scorsese classés du meilleur au pire" pour Première



EXPOSITION et RETROSPECTIVE CINEMATHEQUE FRANCAISE